Les monuments

Jouvenet - Ernemont - Boulingrin

Le cirque de Rouen

Bien des rouennais se souviennent avec nostalgie de sa silhouette massive en bordure du boulevard de l’Yser, près de la place du Boulingrin.

Bien des rouennais se souviennent également avec amertume de la démolition de ce haut lieu de distractions, en septembre 1973.

 Mais de quand date le Cirque de Rouen ?

Son origine remonte à 1893, époque à laquelle des riverains des boulevards de l’Yser et de Verdun (qui portaient au 19ème siècle les noms de boulevards Beauvoisine et Saint Hilaire) adressèrent à la municipalité une pétition, pour lui demander de faciliter la construction d’un cirque aux abords de la place du Boulingrin. Un premier projet avait été déposé à la mairie en 1889, puis 3 autres en 1892. Le projet Petiot prévoyait, en plus du cirque lui-même, un café-restaurant ; le projet Rancy, un plancher mobile sur la piste pour pouvoir accueillir fêtes et concerts ; enfin, le projet Blanchet comprenait également un poste de police et un poste de pompiers.

C’est ce projet qui fut retenu par la ville, car ainsi se trouvaient assurées à la fois la sécurité des spectateurs du Cirque et celle des forains pendant la foire Saint Romain, qui se tenait sur tout le long des boulevards. Le bâtiment qui fut édifié comprenait une salle de 3000 places, des écuries pour les chevaux et animaux de cirque, une salle des fêtes de 1000 places pour les bals, banquets etc. ainsi qu’une brasserie dont la terrasse bordait le boulevard.

La soirée inaugurale se déroula le 18 octobre 1894 ; la recette du concert donné par Edouard Colonne fut versée aux œuvres de bienfaisance.

Dès lors, les spectacles de cirque se succédèrent, organisés alternativement par les cirques Piège et Rancy. Bientôt, des séances de « cinématographe » y eurent aussi lieu. En effet, cette nouvelle distraction avait fait son apparition à Rouen sous forme d’attraction à la foire Saint Romain, à partir de 1896 ; puis les sociétés de l’époque (Pathé, Omnia, Gaumont) organisèrent au Cirque des projections régulières. Ce fut donc la première « salle de cinéma » rouennaise ! (ce n’est qu’en 1908 qu’un commerçant de la rue du Gros Horloge transforma son magasin -« l’Innovation »- en cinéma). Citons aussi les parties d’échecs vivants : la partie se déroulait sur un échiquier géant occupant la piste ; les pions étaient représentés par des personnages costumés… moyen ingénieux qui permettait à l’auditoire de suivre la partie au temps où la télévision n’existait pas !

Arriva la période sombre de la 2ème guerre mondiale. Le Cirque fut réquisitionné par l’armée française le 30 août 1939 pour les sursitaires du service sanitaire ; ceux-ci y commirent d’ailleurs de nombreuses déprédations !

Ensuite, au début de l’occupation allemande, le Cirque fut réquisitionné par l’armée allemande (du 3 juin au 11 septembre 1940). La municipalité décida alors d’en reprendre la gestion auparavant confiée à la Société du Cirque. Il fut décrété que tous les spectacles ou manifestations s’y déroulant devaient être organisés dans un but de bienfaisance ; ils étaient bien évidemment soumis à l’autorisation  de la Kommandantur de Rouen. Au cours du bombardement du 17 août 1942, l’édifice fut endommagé et, par conséquence, fermé jusqu’à la fin de l’année. Il rouvrit ensuite ses portes, mais fut de nouveau réquisitionné pour les besoins de l’armée allemande, en remplacement du Théâtre Français de la place du Vieux marché, rendu inutilisable par les bombardements d’avril 1944.

Enfin, le Cirque connut une dernière réquisition, prononcée par le Préfet Régional le 15 juin 1944, pour un usage nettement plus utile et pacifique : il s’agissait pour la Mutuelle Coopérative Pharmaceutique de Rouen d’y créer un entrepôt.

A la fin de l’année 1944, l’édifice fut finalement rendu à sa vocation première.

 La Libération marqua le début d’une intense activité. La paix revenue, la population rouennaise qui avait beaucoup souffert des bombardements du printemps 1944, aspirait à se distraire. Or, le théâtre des Arts et les salles de cinéma avaient été anéantis par les bombardements. Toutes les manifestations culturelles, sportives et artistiques eurent donc lieu au Cirque. La première saison lyrique débuta le 15 septembre 1945. Les concerts, récitals en tous genres s’y succédèrent : Duke Ellington s’y produisit avec son orchestre en avril 1950 ; Roberto Benzi, alors âgé de 14 ans, y dirigea un concert en janvier 1952 ; et Louis Armstrong y chanta en novembre 1955. Gageons que l’ambiance était au rendez-vous ! Les représentations lyriques s’y poursuivirent jusqu’en décembre 1962, date à laquelle le Théâtre des Arts, enfin reconstruit, put les accueillir à nouveau. Les sportifs et les enfants y trouvèrent aussi leur bonheur : combats de boxe pour les uns et spectacles de Noël  pour les autres. Des générations de petits rouennais y ont ri, applaudi ou chanté et s’en souviennent encore avec émotion …

 

En mai 1968, le Cirque connut un tout autre type d’animation : les étudiants l’occupèrent, y tinrent des réunions et des assemblées générales, et le vénérable édifice fut rebaptisé « maison de l’information libre et populaire » ! Le Cirque vivait là ses dernières années : Rouen disposait dans les années 1970 de salles de cinéma et de spectacles modernes, confortables et bien équipées. Les spectacles de cirque attiraient beaucoup moins de monde. En janvier 1973, la société Rancy sollicita auprès de la Ville une diminution du loyer qu’elle versait, faisant valoir la baisse de fréquentation des spectateurs. Puis le Cirque fut fermé en avril pour des raisons de sécurité. Lors du conseil municipal du 21 mai 1973, son « arrêt de mort » fut prononcé : l’état de vétusté nécessitait d’importants et coûteux travaux de remise en état et de mise aux normes de sécurité.

Le vieux Cirque fut donc voué à la démolition après presque un siècle de bons et loyaux services. Il succomba sous la pioche des démolisseurs en septembre 1973, regretté par de nombreux rouennais.

 

Texte écrit par Ghilaine Lhermitte également auteur de l’ouvrage « Le Quartier Jouvenet, 2 siècles d’histoire ».